Revivez #LaREF25 - "Réguler ou libérer ?"
Avec Daniel Baal, Fabien Gay, Christel Heydemann, Alexandre Jardin, Christelle Morançais, Catherine Vautrin et animé par Raphaël Legendre.
Verbatim
Christel Heydemann : "On fait face à des acteurs, des géants, des mastodontes numériques mondiaux, qui sont, pour certains Américains, pour certains Chinois. L'Europe a poussé, comme dans d'autres secteurs, à une ouverture à la concurrence, ce qui s'est traduit par beaucoup, beaucoup de régulation "
"On vit dans un monde, où la vitesse compte autant que l'exactitude."
"Quand on parle de cybersécurité, il n'y a pas d'option européenne."
"Aux Etats-Unis, il y a trois opérateurs qui ont chacun plus de 100 millions de clients. En Chine, il y a trois opérateurs qui ont chacun quelques centaines de millions de clients. Le plus gros à 1 milliard de clients. Et en Europe, en moyenne, on a quatre opérateurs par pays et on a, en moyenne, 5 millions de clients !"
Christelle Morançais : "Nous avons 400 000 normes en France, c'est de la folie, cela nous pénalise totalement."
"Toutes ces normes, et quelles que soient les entreprises, nous pénalisent. Pas la peine de parler de réindustrialisation dans notre pays, si, aujourd'hui, on n'est pas capable de combattre cet enjeu de normes !"
"Je pense que c'est culturel, un projet aujourd'hui n'est pas crédible s'il n'est pas compliqué !"
Daniel Baal : "On ne va pas être caricatural, on ne va pas opposer réguler ou libérer, je crois qu'il faut les deux. Il faut essayer de trouver le bon compromis, le juste endroit où on place le balancier, la réglementation est à la fois un cadre, un cadre protecteur, mais c'est également une contrainte."
"L'activité bancaire est sans doute une des activités les plus régulées, mais les règles qui ont été mises en place permettent aujourd'hui aux banques françaises, aux banques européennes, d'être particulièrement solides."
"Mais jusqu'où doit-on aller pour assurer la sécurité ?"
Fabien Gay : "Je pense qu'il y a des biens et des services qu'il faut sortir du secteur marchand et reconnaître comme biens communs, dont la question énergétique et la question de la santé."
"En fait, je n'ai jamais rencontré de vrais libéraux."
"Ni réguler, ni libéraliser, il faut tout révolutionner !"
"Si on veut recréer de la confiance entre les chefs d'entreprise, les travailleurs et les travailleuses et les citoyens, il faut de la transparence sur la question des aides publiques accordées aux entreprises."
"Une aide, une condition, un objectif clair pour tout le monde."
"Il est insupportable que des entreprises, qui ont plus de 100 millions de crédits d'impôt recherche et promettent d'industrialiser les process en France, le font en Chine."
"L'argent public ne peut pas servir les actionnaires."
Alexandre Jardin : "La liberté, c'est ce qui fonde la dignité de l'homme."
"Vous, entrepreneurs et toute la société, nous avons accepté collectivement n'importe quoi !"
"En huit mois de gouvernement Bayrou, les 77 codes français ont augmenté de 440000 mots. C'est-à-dire plus que le code général des impôts."
"Il y a une société qui est en train de bouillir, le politique ne fonctionne plus, les investissements ne fonctionnent plus, la décision politique est bloquée. En France, on a une société qui n'y arrive pas, donc qu'est-ce qu'on fait ?"
"Il faut se battre sur des causes, parce que des causes, cela unifie une nation. Une cause, cela dépasse les ruptures et les différences politiques."
Catherine Vautrin : "Dans ces normes, il y a celles qui protègent. Par exemple, avec la sécurité routière, on est passé de 16000 morts à 4000 morts en 20 ans et cela a été fait parce qu'effectivement Il y a eu des normes."
"Quand on crée quelque chose, on supprime le reste. Ce n'est pas fait, cela ne coûte rien et pourtant, c'est absolument majeur."
"Quand on regarde la norme, il faut qu'on la, regarde à l'aune d'un défi majeur que personne n'a abordé jusqu'à maintenant, c'est celui de l'évolution de la démographie."
"La norme doit évoluer, on ne peut pas que condamner, il faut proposer !"
Christel Heydemann : "L'argent public, c'est l'argent des Français. On se doit effectivement de mieux le maîtriser."
Daniel Baal : "Ne voyons pas uniquement le court terme, regardons également le long terme. Etre dans cette situation complexe d'incertitude, finalement, cela se retourne contre la France. La seule chose dont nous avons besoin, c'est la stabilité."
Christelle Morançais : "Ce sont les entreprises qui génèrent l'emploi, qui font l'attractivité et le développement d'un territoire."
"Ce qu'il faut, c'est qu'on arrête totalement les aides aux entreprises, mais par contre, qu'on baisse les impôts de production."
Fabien Gay : "Les exonérations de cotisations patronales sont une aide. Pourquoi ? Parce qu'elles sont une part du salaire différé et lorsqu'on en exonère les chefs d'entreprise, c'est en réalité un vol sur le salaire des travailleurs."
Catherine Vautrin : "La question qu'on doit se poser, c'est produisons-nous suffisamment pour nous offrir ce modèle social ?"
"Chacun doit prendre conscience que l'addiction à la dette publique, c'est l'affaire de tous et que ce sont les économies que nous pouvons faire, qui nous permettent de garder notre modèle social."
Alexandre Jardin : "A partir du moment où un peuple très majoritairement prend conscience de quelque chose, le politique suit."
"Derrière tout ce travail des normes, il y a au fond un extraordinaire mépris des gens et des entrepreneurs, comme s'ils n'étaient pas capables de se réguler eux-mêmes sur un très grand nombre de questions."
"Les causes doivent nous transcender. Choisissons ensemble celles qui ferons gagner la société."
Christel Heydemann : "Ce dont on a besoin, c'est de donner envie dans un monde qui est très anxiogène. Donner envie aux jeunes de travailler, donner envie d'innover, donner envie d'entreprendre, donner envie d'aller au-delà."
Pour aller plus loin
Automatisation, révolution numérique, transition énergétique… l’économie se réinvente à un rythme inédit. Entre l’audace entrepreneuriale qui fait naître les géants de demain et l’action publique qui fixe les garde‑fous indispensables, où placer le curseur ? Le débat entre régulation et libéralisation n’est plus une querelle théorique ; il façonne notre capacité à innover, à créer de l’emploi et à partager équitablement la richesse produite.
Deux visions s’opposent : celle d’un État protecteur et régulateur, héritée de l’économie keynésienne, et celle d’un marché libre, considéré comme moteur d’efficacité et de progrès. Laquelle de ces approches — ou quel dosage entre les deux — peut réellement assurer un développement durable ? La dérégulation totale entraîne‑t‑elle inéluctablement un accroissement des inégalités et une instabilité financière, ou est‑elle une promesse de prospérité ? Comment concilier la protection sociale et la compétitivité économique ?
Réguler ou libéraliser, that is the question
Livré à lui‑même, le marché peut générer des déséquilibres majeurs. L’exemple de la crise financière de 2008, née de la déréglementation du secteur bancaire, montre que l’absence de contrôle peut avoir des conséquences dramatiques. Face à cela, la régulation permet de limiter les excès spéculatifs et d’éviter l’effondrement des économies. Elle assure également davantage de justice sociale par la redistribution et répond aux défis environnementaux pour mieux guider entreprises et consommateurs. À titre d’illustration, l’instauration d’un prix plancher pour le carbone dans plusieurs provinces canadiennes a poussé les industriels à investir massivement dans des technologies plus propres, tout en finançant des baisses d’impôt pour les ménages. Mais une régulation excessive génère des lenteurs et de la complexité et décourage les initiatives privées. Par exemple, il faut une journée pour créer une entreprise au Canada, trois jours en moyenne aux États‑Unis, et encore trois mois en France dans les meilleures conditions !
À l’inverse, moins de régulation signifie souvent plus de liberté pour entreprendre, innover et s’adapter. L’idéologie du marché libre a connu ses heures de gloire dans les années 1980 sous Ronald Reagan aux États‑Unis et Margaret Thatcher en Grande‑Bretagne. Pour eux, l’État n’était pas la solution mais le problème, et un marché sans entraves allait apporter la prospérité et enrichir tout le monde. Il est vrai que les économies ouvertes, avec peu de contraintes administratives et fiscales, attirent davantage les investisseurs étrangers, ce qui dynamise la croissance et génère des emplois. L’Argentine de Javier Milei mise ainsi sur la libéralisation pour relancer son économie et retrouver la confiance des marchés. Les promoteurs de la libéralisation s’appuient toujours sur les bases théoriques du libéralisme, issues des travaux de Ricardo au début du XIXᵉ siècle, selon qui n’importe quel pays a la possibilité de participer au jeu du commerce mondial et d’en recueillir les bénéfices. C’est la célèbre théorie des « avantages comparatifs », qui pose pour principe que toute nation, toute entreprise, peut s’insérer dans le commerce mondial à condition de se spécialiser dans les activités pour lesquelles elle est la mieux placée et la plus performante. La concurrence est l’une des caractéristiques essentielles des économies de marché : elle pousse au progrès technique et aux gains de productivité, élimine les moins performants et encourage les baisses de prix. Mais pour être parfaitement équitable, la concurrence implique que les acteurs opèrent dans un champ de contraintes identiques, ce qui suppose des règles. L’ouverture du ciel unique européen, par exemple, a fait exploser l’offre des compagnies low‑cost ; les prix des billets ont chuté, mais la pression sur les normes sociales des personnels navigants a relancé le débat sur le juste niveau de régulation. Comme en toute chose, les extrêmes sont souvent inefficaces : une économie totalement régulée peut devenir rigide ; à l’inverse, une économie totalement libéralisée risque l’instabilité et l’injustice. L’enjeu est donc de concilier intelligemment les deux. Or, dans une économie mondialisée, où les entreprises réclament toujours plus de liberté pour rester compétitives, le curseur se déplace sans cesse.
Interventionnisme étatique vs libéralisme économique : qui peut assurer un développement durable ?
Selon le rapport Brundtland, le développement durable est celui « qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Il repose sur trois piliers : économique, social et environnemental. Pour atteindre cet objectif, les sociétés doivent choisir entre l’interventionnisme étatique, qui vise à orienter l’économie par des politiques publiques, et le libéralisme économique, qui mise sur les mécanismes du marché et la liberté d’entreprise. Si, comme nous l’avons vu, le libéralisme stimule la croissance, il ne saurait assurer seul un développement durable, car il ne prend pas naturellement en compte les conséquences sociales et environnementales de l’activité économique. La recherche du profit à court terme peut aggraver les inégalités sociales et épuiser les ressources naturelles, la déforestation du Brésil en étant une triste illustration.
L’intervention de l’État a pour but de corriger ces défaillances du marché et d’orienter l’économie vers des objectifs à long terme. L’Union européenne, avec le Green Deal, ou la France avec la planification écologique, illustrent cette volonté de transition soutenable. L’action publique permet aussi de garantir une certaine équité entre les territoires et les populations. Mais là encore, attention aux excès ! L’État doit être régulateur, mais pas omniprésent. Il ne doit pas être un obstacle au marché, mais l’architecte d’un cadre dans lequel les activités économiques peuvent prospérer tout en respectant les équilibres sociaux et sociétaux.
La dérégulation totale : risque majeur ou opportunité ?
Depuis les années 1980, la dérégulation totale, portée par les courants néolibéraux, repose sur la croyance que le marché s’autorégule, approche de plus en plus remise en question face à l’explosion des inégalités mondiales. Dans des secteurs comme la finance, la dérégulation totale encourage les bulles spéculatives qui, en explosant, peuvent générer des catastrophes mondiales, comme la crise des subprimes. Elle tend aussi à affaiblir les mécanismes de redistribution. En réduisant l’impôt sur les hauts revenus, en flexibilisant le marché du travail ou en privatisant les services publics, elle profite en priorité aux catégories les plus favorisées. Selon Thomas Piketty, elle a contribué à l’enrichissement du 1 % le plus riche, au détriment des classes moyennes et populaires. D’un autre côté, en allégeant les contraintes réglementaires, elle permet aux entreprises de gagner en flexibilité, de réduire leurs coûts et d’embaucher davantage. Elle incite aussi les acteurs privés à faire preuve d’autonomie et à ne plus se tourner vers l’État au moindre aléa conjoncturel. Toutefois, une absence totale de règles mènerait à l’anarchie économique. Mieux vaut donc ajuster la régulation pour l’adapter aux enjeux contemporains – numériques, climatiques, démographiques – plutôt que d’en supprimer le principe. Une prospérité durable ne se résume pas à la croissance. Elle suppose aussi une répartition équitable des richesses, sans quoi les tensions sociales et politiques risquent d’exploser.
Malgré ses réussites spectaculaires, le libéralisme économique continue d’essuyer de virulentes critiques ; mais il serait réducteur de lui imputer seul l’ensemble des dérives observées. Lorsque les pouvoirs publics multiplient les normes et procédures – souvent pour de bonnes raisons – l’empilement réglementaire peut finir par étouffer l’initiative, ralentir la diffusion des innovations et, in fine, nuire à l’efficacité même qu’il prétend garantir. La Banque mondiale estime ainsi que la surrèglementation des marchés des biens et services peut amputer jusqu’à un point de croissance par an dans certaines économies avancées. De sorte que le véritable défi n’est pas libéralisme contre État, mais la recherche d’un équilibre protégeant des excès spéculatifs sans transformer la conformité administrative en sport national.
Concilier protection sociale et compétitivité économique ?
Partout dans le monde, les tensions entre niveau de protection sociale et performance économique restent tangibles. Les États, confrontés à la mobilité des capitaux et des talents, craignent de voir investissements et emplois filer vers des territoires jugés plus « agiles ». Pour autant, de nombreux travaux, de l’OCDE à l’Organisation internationale du Travail, soulignent qu’un socle social robuste peut constituer un véritable atout compétitif : il sécurise les trajectoires professionnelles, soutient la consommation en période de ralentissement et favorise la montée en compétences des travailleurs.
Les pays nordiques en sont l’illustration classique, mais d’autres modèles s’affirment : l’Allemagne mise sur la cogestion et la formation continue ; la Corée du Sud investit massivement dans l’assurance‑emploi pour accompagner ses transitions industrielles ; le Canada combine flexibilité du marché du travail et dispositifs publics de reconversion. Dans chacun de ces cas, la clé réside moins dans le niveau absolu de dépenses que dans la qualité des dispositifs (ciblage, prévention, gouvernance) et dans un financement perçu comme équitable. Les réformes les plus acceptées sont celles qui associent clairement protection et incitations à l’emploi, plutôt que d’opposer, de façon stérile, justice sociale et compétitivité.
Ainsi, le débat ne doit plus se résumer à « moins d’État » ou « plus d’État », mais à identifier quelles règles et quelles solidarités créent le meilleur environnement pour innover, investir et partager durablement la valeur.
On le voit, l’enjeu n’est pas de choisir entre marché et État, mais d’inventer un alliage solide entre liberté économique et contrôle public, garantissant à la fois efficacité, justice et durabilité. Comment faire et par où commencer ?